A titre préalable, il convient de distinguer le conflit de loyauté et le syndrome d’alinéation parentale, lequel est largement controversé.
Le syndrome d'aliénation parentale
Le syndrome d’Aliénation Parentale est une notion introduite par Richard Gardner au début des années 1980. Ce syndrome est décrit comme un trouble dans lequel l’enfant est préoccupé par l’un de ses parents, le critique, le déprécie et le dénigre d’une manière excessive. Gardner a déclaré que ce syndrome se produit lorsque, dans le contexte de conflits pour la garde de l’enfant, un parent, délibérément ou de manière inconsciente, essaye d’aliéner un enfant de l’autre parent.
Gardner évoque huit symptômes qui apparaissent chez l’enfant :
- une campagne de dénigrement à l'encontre du parent ciblé ;
- des rationalisations/argumentations souvent faibles, absurdes, frivoles, changeantes, venant à justifier de ce dénigrement et de cette haine ;
- l’absence d’ambivalence (du moins affichée) vis-à-vis du parent ciblé ;
- des affirmations fortes que cette décision de rejeter le parent appartient à lui (l'enfant) seul (le « phénomène du penseur indépendant ») ;
- un soutien intentionnel, indéfectible et absolu au parent "favori" dans le conflit ;
- l’absence de culpabilité (du moins affichée) vis-à-vis de la façon de traiter le parent aliéné ;
- l’usage de scénarios et de phrases empruntés au parent aliénant ;
- un dénigrement (et une rupture des liens) concernant non seulement le parent ciblé mais aussi l'ensemble de cette branche parentale / familiale
Parmi les différentes définitions de l’alinéation parentale, certaines sont moins critiquées que celle du Docteur GARDNER.
Pour exemple, l’une de ces définitions situe le syndrome d’aliénation parentale comme toute situation dans laquelle « un enfant exprime librement et de façon persistante des sentiments et des croyances déraisonnables (rage, haine, rejet, crainte) envers un parent, ces sentiments et/ou croyances étant disproportionnés par rapport à l’expérience réelle qu’à vécue l’enfant avec le parent rejeté. »
(Chapitre : Syndrome d’alinéation parentale : dérive de loyauté à un parent ou rejet de l’autre sous influence , de Roland COUTANCEAU page 47)
Le conflit de loyauté
Si le syndrome d’alinéation parentale ne fait pas l’objet d’une littérature unanime, il reste malheureusement certain que de nombreux enfants sont au cœur d’un conflit de loyauté.
Il convient tout d’abord de définir la notion de loyauté et plus spécifiquement la notion de conflit de loyauté.
La loyauté est une qualité morale qui se traduit par un dévouement à l’égard d’une personne, d’une cause, etc.
Le conflit de loyauté est un sentiment ressenti par l’enfant lorsqu'il a l'impression qu'il est contraint de prendre parti pour l’un de ses parents à l’occasion d’un conflit parental ou lorsqu’il est contraint de faire un choix ou qu’on lui demande de cautionner ou non un comportement. Très souvent, l’attitude d’un des parents est à l’origine du conflit de loyauté. Il peut être particulièrement exacerbé au point où l’enfant manifeste un rejet à l’égard de l’autre parent et refuse de le voir.
Le conflit de loyauté est régulièrement évoqué par les parents dans le cadre de procédures judiciaires tant devant le Juge aux affaires familiales (Procédure de divorce mais aussi procédure devant le Juge aux affaires familiales concernant les questions relatives à la garde, aux droits de visite ou l’autorité parentale ), que devant le Juge pour enfants (à l’occasion des procédures relatives à la protection de l’enfance) parfois à raison, parfois à tort.
Parfois, une audition de l’enfant est sollicitée devant le Juge aux affaires familiales pour corroborer les propos d’un parent. L’audition de l’enfant n’a pas cette vocation et ne doit pas être utilisée à cette fin !
En tant qu’Avocat, on évoque le conflit de loyauté lorsque les circonstances le justifient.
Dans cette situation, en qualité d’avocat du parent lésé, on sollicite le plus souvent une expertise psychologique afin d’évaluer la situation, faire constater le conflit de loyauté subi par l’enfant ou l’écarter.
De même, l’enquête sociale devant le Juge aux affaires familiales ou une mesure éducative d’investigation judiciaire devant le Juge pour enfants permet d’éclairer sur l’historique et le fonctionnement familial.
L’expertise va notamment permettre de savoir si les attitudes psycho-affectives de l’enfant et le rejet de son parent sont compréhensibles par rapport à l’histoire familiale, aux éventuels traumatismes, à la relation avec le parent rejeté, aux éventuelles violences psychologiques OU si le rejet de l’enfant est peu compréhensible, irrationnel et démesuré.
De même, l’expertise va certainement permettre :
- D’éliminer les causes compréhensibles du rejet parental
- Analyser le discours de l’enfant en constatant soit la cohérence entre une affectivité mise en avant et des souvenirs relationnels, soit des affectifs négatifs mais sans appui sur une réalité relationnelle
- Apprécier les éventuels certificats de médecin ou psychiatre faisant état d’un mal-être de l’enfant
- Etudier l’attitude du parent investi
Dr COUTANCEAU, psychiatre, Expert auprès de la Cour de cassation a dirigé une étude très complète sur les conflits de loyauté vécus par les enfants lors d’une séparation parentale, à laquelle de nombreux intervenants professionnels ont participés.
Dans cette étude, Docteur Michel VIGNES - psychiatre de l’enfant et de l’adolescent souligne que la loyauté suppose une forme de conscience, une capacité de discernement, un choix plus ou moins éclairé en fonction de l’arbitrage interne que n’ont pas forcément les enfants ou adolescents, soit du fait de leur âge, soit du fait d’un mécanisme psychique de refoulement.
En droit des enfants, la notion du discernement est fondamentale car elle suppose que l’enfant est en capacité d’analyser les situations afin de faire ses propres choix.
Afin d’éviter un conflit de loyauté, il est important lorsque les parents ont des difficultés à préserver leurs enfants, de proposer une médiation familiale avec un médiateur neutre et objectif afin de rétablir un minimum de communication. Cela suppose néanmoins que les parents comprennent les enjeux qui se jouent et leurs conséquences sur le développement de leurs enfants.
« La loyauté est l’assise de l’alinéation. Le conflit de loyauté s’il n’est pas appréhendé dès le début dans toute sa mesure, comporte en germe le risque d’une emprise. Intervenir dès le départ en amenant les parents à apaiser leurs conflits constitue un outil de prévention absolument déterminant même s’il n’est pas toujours suffisant » (Chapitre du livre cité : Et si les deux parents en conflit se recentraient sur l’intérêt de l’enfant, Marc JUSTON, Page 164)
Madame Danièle GANANCIA - ancienne Avocate et ancienne Juge aux affaires aux familiales et vice-présidente du TGI de Paris - à présent Médiatrice familiale diplômée d’état, écrit dans la rubrique la Parole de l’enfant en médiation familiale :
« On sait que ce n’est pas tant la séparation des parents que leur conflit qui va écarteler, diviser l’enfant de l’intérieur et parfois menacer son équilibre psychique. Les conflits autour de l’enfant sont la plupart du temps des conflits de couple non réglés, les nœuds non réglés, les nœuds non défaits d’une relation souffrante d’ex-conjoints, qu’ils n’arrivent pas à dépasser. L’un d’entre eux (ou les deux) n’a pas fait le deuil de la relation et poursuit par l’intermédiaire de l’enfant qui seul les relie encore un règlement de comptes qui n’a pas été fait lors de la séparation.
Il est vrai que la rupture d’un couple, avec son cortège de blessures, de rancœurs, de ressentiments, constitue parfois pour les ex-conjoints un écoulement de leurs repères, voir de leur identité. Submergés par leur souffrance, les parents deviennent aveugles à la souffrance de leur propre enfant et en arrivent à méconnaitre ses besoins fondamentaux. »
(Chapitre du livre cité : Parole de l’enfant en médiation familiale, Madame Danièle GANANCIA, Page 130)
Il est nécessaire de rappeler qu’il est très difficile pour un enfant de verbaliser et de poser des mots sur ce qu’il ressent. La construction d’un lien de confiance est essentielle entre l’enfant et son Conseil afin qu’il puisse parler librement de ce qu’il ressent.
Il est important de souligner que l’Avocat de l’enfant est de droit si le mineur en formule la demande auprès du bâtonnier. Chaque barreau propose par ailleurs des consultations juridiques pour les enfants. A Marseille, les consultations ont lieu le mercredi après-midi sans rendez-vous. Le mineur peut également choisir l’avocat de son choix.
Lorsque les enfants nous exposent des situations avec des mots empruntés, qui ne sont pas de leur âge, l’influence des parents se ressent.
Parfois, plusieurs rendez-vous entre le mineur et son Conseil sont nécessaires pour que ce dernier comprenne la position de l’enfant et distingue ses réflexions propres, des pensées qui sont influencés par ses parents.
D’ailleurs, la position entre le premier rendez-vous et les suivants peuvent évoluer. A cet effet, quand la situation le permet, il est important que l’enfant rencontre son avocat, accompagné de chacun des deux parents à tour de rôle. Si le parent n’est jamais reçu par l’Avocat de l’enfant et reste dans la salle d’attente, le discours du mineur peut changer selon les circonstances et le parent accompagnant.
Lors des rendez-vous, l’avocat de l’enfant expliquera la procédure à l’enfant, prendra le temps pour le rassurer ou lui exposer avec des mots simples la situation lorsqu’on est devant le Juge pour enfants et qu’un rapport a été déposé par les services sociaux.
Il sera présent à ses côtés lors de l’audition devant le Juge aux affaires familiales (ou l’enquêteur social que ce dernier aura désigné à cette fin) ou lors des audiences devant le Juge pour enfants. Il n’est pas présent lors des audiences devant le Juge aux affaires familiales.
Enfin, en qualité d’Avocat de l’enfant, il est nécessaire de rappeler l’importance de préserver les enfants des conflits parentaux.
L’intérêt de l’enfant doit primer !
Cet article a été écrit par Prisca Vitali. |
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