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Le recours en révision contre le jugement d’adjudication

La cour de cassation répète depuis de nombreuses années qu’il est impossible d’exercer le moindre recours contre le jugement d’adjudication qui n’a pas tranché un incident. Et pourtant, il arrive régulièrement que des cours d’appel résistent et rendent des décisions contraires. Exemple d’admission d’un recours en révision.

La règle : l’absence de recours contre le jugement d’adjudication qui n’a tranché aucun incident

Tout part de l’article R. 322-60, alinéa 2, du code des procédures civiles d’exécution, selon lequel :

« Seul le jugement d'adjudication qui statue sur une contestation est susceptible d'appel de ce chef dans un délai de quinze jours à compter de sa notification. »

Le texte semble donc clair : soit le jugement d’adjudication statue sur une contestation et il est susceptible d’appel de ce chef, soit il ne statue pas sur une contestation et il n’est pas susceptible d’appel de ce chef. L’emploi précis du terme « appel » laisse toutefois à penser que le législateur n’ait pas entendu faire obstacle à l’exercice d’autres voies de recours, comme par exemple le pourvoi en cassation.

La cour de cassation ne l’a pas entendu de cette oreille, et a rendu une série d’arrêts dans lesquels elle indique que le jugement d’adjudication qui n’a statué sur aucun contestation n’est susceptible d’aucun recours, sauf excès de pouvir :

  •  « Mais attendu que le jugement d’adjudication qui ne statue sur aucune contestation ou demande incidente n’est pas susceptible de recours ; » (Cass. 2e civ., 6 janv. 2011, n° 09-70.437, Bull. 2011, II, n° 1).
  • « Mais attendu que le jugement d’adjudication, n’ayant statué sur aucune contestation, n’est susceptible d’aucun recours sauf excès de pouvoir ; » (Cass. 2e civ., 20 avr. 2017, n° 15-13.075).
  • « Attendu que le jugement d’adjudication ne statuant sur aucune contestation, n’est susceptible d’aucun recours sauf excès de pouvoir ; » (Cass. 2e civ., 12 avr. 2018, n° 17-15.418, Bull. 2018, II, n° 84).

Cette interprétation est lourde de conséquences, puisque nous passons d’une situation dans laquelle seul l’appel est barré, à une situation dans laquelle toutes les voies de recours le sont. On imagine aisément que la cour ait souhaité offrir à l’acheteur la garantie que l’adjudication ne pourrait pas être remise en cause… mais cette interprétation excessivement rigoureuse et surtout contraire à la lettre du texte entraîne son lot d’insatisfactions et donc, fort naturellement, son lot de résistances.

L’exception : le cas du recours en révision

Le recours en révision est une voie extraordinaire de recours qui permet d’obtenir la réformation d’une décision passée en force de chose jugée dans l’une des 4 hypothèses énumérées par l’article 595 du code de procédure civile :

« Le recours en révision n'est ouvert que pour l'une des causes suivantes :

1. S'il se révèle, après le jugement, que la décision a été surprise par la fraude de la partie au profit de laquelle elle a été rendue ;

2. Si, depuis le jugement, il a été recouvré des pièces décisives qui avaient été retenues par le fait d'une autre partie ;

3. S'il a été jugé sur des pièces reconnues ou judiciairement déclarées fausses depuis le jugement ;

4. S'il a été jugé sur des attestations, témoignages ou serments judiciairement déclarés faux depuis le jugement.

Dans tous ces cas, le recours n'est recevable que si son auteur n'a pu, sans faute de sa part, faire valoir la cause qu'il invoque avant que la décision ne soit passée en force de chose jugée. »

La cour de cassation s’est prononcée de façon très ferme contre l’hypothèse du recours en révision en matière d’adjudications à l’occasion de deux arrêts très anciens, mais jamais démentis :

  • « Attendu que la décision d'adjudication qui ne statue sur aucun incident ne fait que constater un contrat judiciaire et n'a pas le caractère de jugement ;

Qu'elle ne peut donc faire l'objet d'une voie de recours telle que le recours en révision ; » (Cass. civ., 2e, 20 mai 1985, n° 83-16.680).

  • « Attendu que la décision d'adjudication qui ne statue sur aucun incident ne fait que constater un contrat judiciaire et n'a pas le caractère d'un jugement ; qu'elle n'est donc pas susceptible d'un recours en révision ; » (Cass. civ., 2e, 16 juil. 1987, n° 86-11.367).

La difficulté tient à ce que le paysage législatif et jurisprudentiel qui entourait ces décisions a considérablement évolué, la procédure de saisie immobilière ayant été profondément remaniée par l’ordonnance n° 2006-461 du 21 avril 2006.

Sur la base du nouveau texte, la jurisprudence a connu une évolution qui laisse à penser que le jugement d’adjudication doit à présent être considéré comme un jugement à part entière, dûment revêtu de l’autorité de la chose jugée.

Pour comprendre cette évolution, il est nécessaire au préalable d’avoir à l’esprit que la jurisprudence précitée de la cour de cassation est le fruit d’un débat ancien au sujet de l’autorité de la chose jugée attachée aux décisions du juge de l’exécution.

En effet, la question était jusqu’à récemment sujette à débat : dès lors que le juge de l’exécution se contente de contrôler l’exécution d’un titre, on considérait jusqu’alors que ses décisions n’étaient pas nécessairement revêtues de l’autorité de la chose jugée.

C’est d’ailleurs pourquoi l’article R. 322-18 du code des procédures civiles d’exécution dispose que « Le jugement d'orientation mentionne le montant retenu pour la créance du poursuivant en principal, frais, intérêts et autres accessoires. » : le jugement d’orientation ne pouvait pas fixer le quantum de la créance qui était préalablement fixé par un titre exécutoire .

Selon le même raisonnement, le jugement d’adjudication, qui se bornait à constater la translation de propriété, n’était selon la doctrine pas un jugement à proprement parler, mais un contrat judiciaire – sauf dans l’hypothèse où il tranchait un incident, auquel cas l’autorité de la chose jugée de la décision du juge de l’exécution qui tranchait l’incident restituait au jugement d’adjudication son caractère de jugement et, par suite, ouvrait les voies de recours.

Cette solution conférait au jugement d’adjudication un statut unique de contrat judiciaire qui constituait une construction doctrinale et jurisprudentielle que le législateur a entendu simplifier à l’occasion de la réforme de la procédure de saisie immobilière.

C’est pourquoi la cour de cassation a considéré que le jugement d’adjudication qui ne tranchait aucun incident et qui, par conséquent, devait être qualifié de contrat judiciaire, ne pouvait pas faire l’objet d’un recours en révision, cette voie de recours étant nécessairement dirigée contre un jugement :

 Article 593 du code de procédure civile :

« Le recours en révision tend à faire rétracter un jugement passé en force de chose jugée pour qu'il soit à nouveau statué en fait et en droit. »

C’est ainsi que le nouveau texte a clairement distingué le jugement d’adjudication, d’une part, et le titre de vente, d’autre part, en qualifiant invariablement le jugement d’adjudication de jugement et en rappelant qu’il possédait toutes les mentions des jugements :

Article R. 322-59 du code des procédures civiles d’exécution :

« Outre les mentions prescrites pour tout jugement, le jugement d'adjudication vise le jugement d'orientation, les jugements tranchant les contestations et le cahier des conditions de vente. Il désigne le créancier poursuivant et, le cas échéant, le créancier subrogé dans ses droits. Il mentionne les formalités de publicité et leur date, la désignation de l'immeuble adjugé, les date et lieu de la vente forcée, l'identité de l'adjudicataire, le prix d'adjudication et le montant des frais taxés. Il comporte, le cas échéant, les contestations qu'il tranche. »

Article R. 322-60 du code des procédures civiles d’exécution :

« Le jugement d'adjudication est notifié par le créancier poursuivant, au débiteur, aux créanciers inscrits, à l'adjudicataire ainsi qu'à toute personne ayant élevé une contestation tranchée par la décision.

Seul le jugement d'adjudication qui statue sur une contestation est susceptible d'appel de ce chef dans un délai de quinze jours à compter de sa notification. »

Article R. 322-61, alinéa 1, du code des procédures civiles d’exécution :

« Le titre de vente consiste dans l'expédition du cahier des conditions de vente revêtue de la formule exécutoire, à la suite de laquelle est transcrit le jugement d'adjudication. »

La cour de cassation a accompagné cette évolution à l’occasion d’un arrêt du 13 septembre 2017 et d’un avis du 12 avril 2018, précisant successivement que :

  1. Le jugement d’orientation, dans la mesure où il fixe le montant de la créance du créancier poursuivant, a autorité de la chose jugée au principal, même si aucune contestation n’a été soulevée à ce sujet (Com., 13 septembre 2017, pourvoi n° 15-28.833).
  2. « Le juge de l’exécution statue comme juge du principal (article R. 121-14 du code des procédures civiles d’exécution), et se prononce y compris sur des questions relevant du fond du droit (article L. 213-6 du code de l’organisation judiciaire) de sorte que ses décisions ont, sauf disposition contraire, autorité de la chose jugée au principal. » (demande d’avis du 12 avril 2018 n° P 18-70.004, avis n° 15008).

Ainsi, la cour de cassation confirme que toutes les décisions du juge de l’exécution, en ce compris le jugement d’adjudication, ont autorité de la chose jugée au principal, au visa de :

Par conséquent, il résulte :

  • Des articles R. 322-59, 60 et 61 du code des procédures civiles d’exécution que le jugement d’adjudication est qualifié de jugement ;
  • De l’article R. 322-59 du même code qu’il comporte les mentions prescrites pour tout jugement ;
  • De l’avis n° 15008 du 12 avril 2018 qu’il est revêtu de l’autorité de la chose jugée.

Autrement dit, le jugement d’adjudication possède à la fois la qualification de jugement et les caractéristiques d’un jugement (ou caractère pour reprendre le vocabulaire des jurisprudences des 20 mai 1985 et 16 juillet 1987).

Ainsi, par son avis n° 15008, la cour de cassation semble renverser la jurisprudence antérieure qui faisait obstacle à l’introduction d’un recours en révision en résolvant un vieux débat au sujet de la nature du jugement d’adjudication : contrat judiciaire ou jugement à proprement parler.

Le jugement d’adjudication étant un véritable jugement, il semble qu’il faille conclure qu’il peut faire l’objet d’un recours en révision, l’article 593 du code de procédure civile précisant expressément que cette voie de recours est dirigée contre les jugements :

« Le recours en révision tend à faire rétracter un jugement passé en force de chose jugée pour qu'il soit à nouveau statué en fait et en droit. »

C’est exactement cette solution que la deuxième chambre de la cour de cassation écarte, par une décision rendue le 12 avril 2018, soit le même jour que l’avis qu’elle a rendu au sujet de l’autorité de la chose jugée attachée aux décision du juge de l’exécution :

« Attendu que le jugement d’adjudication ne statuant sur aucune contestation, n’est susceptible d’aucun recours sauf excès de pouvoir ; » (Cass. 2e civ., 12 avr. 2018, n° 17-15.418, Bull. 2018, II, n° 84).

Et la solution qu’elle applique est suffisamment litigieuse, à la lumière du contexte qui vient d’être décrit, pour donner naissance à des résistances de la part des cours d’appel. C’est ainsi que la cour d’appel de Rouen en date du 14 octobre 2021 accepte le principe d’un recours en révision, qu’elle rejette toutefois sur le fond au motif que les conditions propres à ce recours n’étaient pas réunies : « L'appel du jugement d'adjudication prévu à l'article R322-60 du code de procédures civiles d'exécution, n'a pas pour finalité de faire rétracter le jugement mais de le faire réformer ou annuler.  Par voie de conséquence, même si le jugement d'adjudication n'a pas tranché d'incident, et a fortiori n'a pas tranché celui de la qualité de créancier de la partie poursuivante, relatives à l'appel du jugement d'adjudication, les époux … avaient la possibilité d'exercer un recours en révision, à la condition que les conditions propres à ce recours soient réunies. » (CA Rouen, 14 octobre 2021, n° 20/02505).

Maître Raphaël Morenon

Cet article a été écrit par Raphaël Morenon.

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