La prise d’acte permet au salarié de rompre le contrat de travail en cas de manquement suffisamment grave de l’employeur qui empêche la poursuite du contrat de travail.
Elle se distingue de la démission et de la résiliation judiciaire du contrat aux torts de l’employeur, qui constituent d’autres modes de rupture du contrat de travail à l’initiative du salarié.
Non règlementée par le code du travail, le régime juridique de la prise d’acte résulte d’une construction jurisprudentielle.
La procédure de la prise d’acte
La cessation immédiate du contrat de travail
La prise d’acte n’est soumise à aucun formalisme, il s’agit généralement d’un courrier du salarié dans lequel il manifeste sa volonté de quitter l’entreprise en «prenant acte de la rupture de son contrat», en raison des manquements commis par ce dernier.
La prise d’acte peut également être adressée à l’employeur par l’avocat du salarié (Cass. Soc. 4 avril 2007, n°05-42.847).
La prise d’acte entraîne la cessation immédiate du contrat de travail et équivaut en principe à une démission. Le salarié peut exécuter un préavis mais il n’est pas obligatoire.
L’employeur doit délivrer au salarié ses documents sociaux de fin de contrat, à savoir : certificat de travail, solde de tout compte et attestation Pôle Emploi sur laquelle doit figurer la mention «prise d’acte de la rupture du contrat de travail» (Cass. Soc. 4 juin 2008, n°06-45.757).
A noter qu’une démission peut être remise en cause par le salarié en raison de manquements imputables à l’employeur. Si les circonstances antérieures ou concommitantes à la démission lui donnent un caractère équivoque, celle-ci doit alors s’analyser en une prise d’acte.
La saisine du Conseil de prud’hommes
A la suite de sa prise d’acte, le salarié peut saisir la juridiction prud’homale d’une demande de requalification en licenciement sans cause réelle et sérieuse ou nul.
En application des dispositions de l’article L 1451-1 du Code du travail, «lorsque le conseil de prud’hommes est saisi d’une demande de qualification de la rupture du contrat de travail à l’initiative du salarié en raison de faits que celui-ci reproche à son employeur, l’affaire est directement portée devant le bureau de jugement, qui statue au fond dans le mois suivant sa saisine».
Ainsi, le bureau de jugement est saisi directement, sans phase de conciliation préalable, ce qui accélère considérablement la procédure devant le Conseil de prud’hommes.
Dans le cadre de ce contentieux, le juge prud’homal est appelé à se prononcer sur la réalité et la gravité des griefs reprochés par le salarié à l’employeur, afin de pouvoir le cas échéant requalifier la prise d’acte en licenciement infondé (Cass. Soc. 26 mars 2014, n°12-23.634, n° 12-21.372 et n°12-35.040).
La charge de la preuve des griefs imputés à l’employeur incombe au salarié. S’il substiste un doute sur la réalité des faits invoqués par le salarié à l’appui de sa prise d’acte, il doit profiter à l’employeur (Cass. Soc. 19 décembre 2007, n°06-44.754).
Les juges du fond déterminent si la prise d’acte de la rupture du contrat de travail par le salarié produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient, ou, à défaut, d’une démission.
La requalification de la prise d’acte en licenciement
Les manquements graves de l’employeur
Les juges doivent apprécier l’existence et la gravité des manquements de l’employeur en fonction des griefs invoqués par le salarié sans être liés, le cas échéant, par les motifs mentionnés dans la lettre de prise d’acte (Cass. Soc. 28 novembre 2018, n°17-19.719). Dès lors, contrairement à la lettre de licenciement, le courrier de prise d’acte ne fixe pas les limites du litige.
Si le manquement existe, les juges doivent apprécier s’il était suffisamment grave pour empêcher la poursuite du contrat de travail (Cass. Soc. 11 mars 2015, n°13-18.603).
L’appréciation de la gravité des manquements de l’employeur relève du pouvoir souverain des juges du fond (Cass. Soc. 21 octobre 2014, n°13-18.377).
A titre d’exemples, la jurisprudence considère que justifient une prise d’acte de la rupture par le salarié :
- L’absence de fourniture de travail (Cass. Soc. 29 novembre 2007, n°06-43.524) ;
- Le fait de ne pas rémunérer l’intégralité des heures de travail effectuées par le salarié ou de les rémunérer partiellement (Cass. Soc. 27 novembre 2014, n°13-18.716) ;
- Des retards récurrents dans le paiement du salaire (Cass. Soc. 30 mai 2018, n°16-28.127) ;
- Des violences morales ou psychologiques de l’employeur (Cass. Soc. 18 janvier 2012, n°10-19.883), peu important que ces violences se produisent en dehors du travail (Cass. Soc. 23 janvier 2013, n°11-20.356) ;
- Le non-respect des règles relatives à la durée du travail (Cass. soc. 7 octobre 2005, n°01-44.635) ;
- Un manquement à l’obligation de sécurité (Cass. Soc. 29 juin 2005, n°03-44.412) ;
- Une modification du contrat de travail sans l’accord du salarié (Cass. Soc. 25 novembre 2015, n°14-17.433) ;
- L’exercice abusif et déloyal du pouvoir disciplinaire (Cass. Soc. 7 avril 2016, n°14-24.288) ;
- Des actes de harcèlement moral ou sexuel (Cass. Soc. 19 janvier 2002, n°10-20.935 ; Cass. Soc. 11 mars 2015, n°13-18.603).
Il convient de noter que des manquements anciens ne peuvent justifier une prise d’acte dans la mesure où ils n’ont pas empêché la poursuite du contrat de travail.
Les conséquences financières
Si le Conseil de Prud’hommes estime que les griefs invoqués par le salarié sont fondés, la prise d’acte produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ou d’un licenciement nul selon les circonstances (harcèlement moral ou sexuel, discrimination, protection liée à l’état de grossesse…).
Le salarié est alors bien fondé à solliciter :
- Une indemnité compensatrice de préavis et les congés payés afférents ;
- Une indemnité de licenciement légale ou conventionnelle ;
- Une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (article L 1235-3) ou une indemnité pour licenciement nul (article L 1235-3-1) ;
- Une indemnité pour préjudice distinct si les circonstances qui ont contraint le salarié à la prise d’acte caractérisent un abus (Cass. Soc. 16 mars 2010, n° 08-44.094).
En revanche, le salarié ne peut se voir octroyer une indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement (Cass. Soc. 19 octobre 2016, n°14-25.067).
Attention, si la prise d’acte est considérée par le juge prud’homal comme infondée et qu’elle est dès lors requalifiée en démission, le salarié peut être condamné à verser à l’employeur l’indemnité correspondant au préavis non effectué si celui-ci en réclame le paiement (Cass. Soc. 8 juin 2011, n°09-43.208).
La prise d’acte constitue une alternative à la démission, laquelle produit des conséquences insatisfaisantes pour le salarié puisqu’elle n’ouvre pas droit à une indemnisation par le régime d’assurance-chômage. Elle constitue également une alternative à la rupture conventionnelle, qui nécessite l’accord des deux parties. La prise d’acte permet de mettre un terme immédiatement au contrat de travail, contrairement à la demande de résiliation judiciaire du contrat formulée par le salarié devant la juridiction prud’homale. Lorsque la rupture du contrat de travail est imposée par un manquement de l’employeur à une de ses obligations contractuelles, la prise d’acte peut donc être une solution pour le salarié souhaitant quitter l’entreprise. |
Cet article a été écrit par Laura Lemarié. |
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