La loi du 21 décembre 2022 portant mesures d’urgence relatives au fonctionnement du marché du travail a introduit une présomption de démission en cas d’abandon de poste.
A ce jour, le décret en Conseil d’Etat qui doit déterminer les modalités d’application du texte n’est pas encore paru, de sorte que les dispositions actuelles restent applicables.
Quelles sont les conséquences que ce changement va engendrer sur la situation des salariés ?
Les différences entre l’actuelle et la nouvelle notion d’abandon de poste
Actuellement, l’abandon de poste n’est pas une démission
L’abandon de poste correspond à la situation où le salarié quitte son poste sans autorisation et de manière injustifiée, ou lorsqu’il ne se rend plus au travail pendant plusieurs jours sans justifier du motif de son absence.
En cas d’abandon de poste, l’employeur ne peut pas considérer le salarié comme démissionnaire. En effet, la démission se définit comme la rupture du contrat de travail à l’initiative du salarié, par laquelle celui-ci manifeste sa volonté claire et non équivoque de quitter son emploi. Selon une jurisprudence constante, la démission ne se présume pas.
Toutefois, en cas d’abandon de poste, l’employeur peut licencier le salarié sur le fondement d’une faute simple ou d’une faute grave en fonction de la gravité du comportement de ce dernier.
Ainsi, contrairement à une démission, le salarié licencié au motif d’un abandon de poste peut bénéficier de l’aide au chômage.
Il convient de relever que le licenciement n’est pas autorisé si le salarié a abandonné son poste pour se rendre chez le médecin, pour le décès d’un proche ou en cas d’exercice de son droit de retrait.
L’abandon de poste « volontaire » s’analyse en une démission
Le nouvel article L.1237-1-1 du Code du travail modifie les règles entourant l’abandon de poste :
« Le salarié qui a abandonné volontairement son poste et ne reprend pas le travail après avoir été mis en demeure de justifier son absence et de reprendre son poste, par lettre recommandée ou par lettre remise en main propre contre décharge, dans le délai fixé par l’employeur, est présumé avoir démissionné à l’expiration de ce délai ».
Dès lors, si le salarié ne reprend pas son poste dans le délai fixé par l’employeur aux termes de sa mise en demeure, il sera considéré comme démissionnaire.
A l’inverse, s’il reprend son poste de travail avant l’expiration de ce délai, ou s’il justifie de son absence, la présomption de démission n’est pas applicable.
Le délai fixé par l’employeur ne pourra pas être inférieur à un minimum fixé par décret en Conseil d’Etat (non encore paru à ce jour).
Dans une décision du 15 décembre 2022 (n°2022-844), le Conseil constitutionnel a considéré que les dispositions relatives à la présomption de démission étaient conformes à la Constitution. Il rappelle que le salarié ne sera considéré comme démissionnaire qu’en cas d’abandon de poste volontaire. Ainsi, si le salarié justifie son abandon de poste par un motif légitime, il ne sera pas considéré comme ayant démissionné.
Les conséquences de la présomption de démission
Le renversement de la présomption par le Juge
La présomption de démission prévue par le nouvel article L. 1237-1-1 du Code du travail est une présomption simple, ce qui signifie qu’elle pourra être renversée.
En effet, le salarié pourra saisir le Conseil de prud’hommes afin que celui-ci se prononce sur la nature de la rupture ainsi que sur ses conséquences.
Le salarié pourra démontrer que son abandon de poste n’était pas volontaire en justifiant d’un motif légitime. Seront par exemple considérés comme un motif légitime :
- Des raisons médicales ;
- L’exercice du droit de grève ;
- L’exercice du droit de retrait ;
- Le refus d’exécuter une instruction contraire à la réglementation ;
- Le refus d’une modification unilatérale d’un élément essentiel du contrat de travail.
Le salarié pourra également invoquer des manquements de l’employeur pour renverser la présomption de démission.
Il est prévu que l’affaire sera portée directement devant le Bureau de Jugement du Conseil de prud’hommes, lequel devra statuer dans un délai d’un mois à compter de sa saisine.
Les conséquences pour les salariés et les employeurs
Les conséquences pour les salariés seront importantes : ils ne pourront plus prétendre aux allocations chômage, puisqu’ils ne seront plus considérés comme étant privés involontairement de leur emploi.
En outre, le délai d’un mois dans lequel le Conseil de prud’hommes est censé rendre sa décision au regard de ces nouvelles dispositions apparaît difficilement tenable, au regard de l’encombrement actuel des juridictions et des délais applicables en pratique.
Ce nouveau mécanisme pourrait également poser des difficultés aux employeurs. En effet, si le salarié obtient le renversement de la présomption de démission devant le Conseil de prud’hommes, la rupture du contrat de travail sera – logiquement – requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse, avec toutes les conséquences financières qui en découlent.
L’employeur pourra préférer opter pour un licenciement pour absence injustifiée et prolongée, plutôt que de considérer son salarié comme démissionnaire.
Dès lors que le décret d’application sera publié, la « présomption de démission » prévue par l’article L 1237-1-1 du Code du travail sera alors applicable. En cas d’abandon de poste, le salarié sera donc présumé avoir démissionné, le privant des indemnités chômage dont il aurait pu bénéficier en cas de licenciement. Seuls un motif légitime ou un manquement de l’employeur pourront permettre de renverser cette présomption. Cette nouvelle acception de l’abandon de poste a notamment pour objectif de mettre un terme au déséquilibre existant entre un salarié ayant posé sa démission, qui ne peut bénéficier de l’aide au chômage, et un salarié licencié pour avoir abandonné son poste de travail, lequel peut percevoir l’aide au chômage. Ce nouveau dispositif sera sans doute source d’un nouveau contentieux prud’homal. |
Cet article a été écrit par Laura Lemarié. |
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